« Orphée : retour des enfers », VALERE NOVARINA, LE JEU DES OMBRES

Dans un échafaudage de spectre et à travers le monstre humain Novarina s'amuse à se et nous faire peur avec drôlerie. Loin du feu et flammes, les enfers deviennent le lieu des métamorphoses. En remontent Orphée, Eurydice, Cerbère, Charon, Hécate, Pluton et ce qui es plus étonnant Sosie, Flipote, les Machines à dire beaucoup, Robert Le Vigan, Michel Baudinat, Gaston Modot, Anne Wiazemski, Louis de Funès, Christine Fersen et Daniel Znyk.


Chacun est dans son genre est l'orphique ou l'or noir des espaces de dessous, bref de là où des ombres reviennent et parlent mais pas seulement d'amour. C'est le défi de l'échassier qui tente d'appréhender l'apesanteur mais aussi la force d'une langue qui colle au corps. Là où ça grince et ça tord et où la sédition se retourne contre elle-même. Qui sommes-nous alors sinon des ombres qui tentent de soulever ce qui nous reste et sort du grand volcan du théâtre de la parole, de la grande gueule de l'origine ?

Le burlesque est là pour affronter la mort et fait sentir l'absurdité d'être parmi les autres, les disparus avec lesquels il s'agit de nouer joies et douleurs par les soupiraux de la langue qui aspirent corps et crânes dans le lait de la mort et la danse de vie. Ce qui importe est ce qui est dit des corps fantômes là où Novarina se fait confiance - du moins dans la langue - quitte à être dépossédé par ses personnages de sa matière créatrice.

Ses fantômes remontent pour manifester leur présence à la lisière d'une naissance à rebours dans un théâtre hanté par divers temps afin de mettre de l'ailleurs dans l'ici même. De tels spectres nous traversent et nous les traversons saisis par l'exacerbation comique (mais pas seulement) qu'un tel jeu provoque.

La langue erre, se leurre mais se rattrape dans un songe fébrile et des vagues ourlées de menaces pour nous rappeler à notre viande. Si bien qu'ici comme toujours chez Novarina, hors la voix, point de contours. Le langage devient une fusion spectrale qui se meut dans l'invisible. Il jaillit à travers des personnages dont - en dépit de leur disparition - les fibres restent organiquement liés au possible du vivant. Et ce entre le corps et son entité fuyante, son esprit vêtu de paroles. Il est donc jamais nu - ni dedans ni dehors. Preuve qu'à sa manière le dramaturge  est un mystique qui s'ignore à peine.

L’œuvre nous permet ainsi de nous perdre et de nous retrouver tant elle souligne le fait que signalait Giacometti dans ses « Carnets » : « j’ai toujours eu l’impression d’être un personnage vague, un peu flou, mal situé ». Novarina ne cherche pas à améliorer une telle image. Les ombres ajoute sa confusion nous perdent dans le temps. C’est sans doute là une des expériences les plus radicales du pouvoir du théâtre en ses moutonnements de matière verbale et syntaxique.

Jean-Paul Gavard-Perret


Valère Novarina, "Le jeu des ombres", P.O.L éditions, Paris, 2020, 272 p., 17 E.

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