« Victor Segalen arraché à la nuit » - Victor Segalen, Oeuvres I & II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard

Victor Segalen pour chasser ses démons, trouva un mécanisme obsessionnel : celui de l’exotisme. Cette mécanique s’aggrava avec le temps dans cette relation étrange à soi et à l’autre. Pour autant l’exotisme est un mode difficile : pour y entrer il faut se battre avec soi-même au moment même où l'écrit lui donne corps selon une poétique particulière qui empreinte ses éléments à un rituel moins de fuite que de reconquête.



L’auteur de Stèles n’était pas du genre à contempler ses cicatrices : il chercha à magnifier les territoires forains non pour y chercher l’absence ou l’oubli et encore moins un « divertissement » touristique. Le tout se développe en une construction musicale soulignée par des changements de registre littéraire : essai sur ses maîtres en voyage intérieur ou extérieur (Gauguin, Rimbaud, Leys), poésie, journal de voyage, etc.. Et ce pour quitter la cellule des habitudes et rejoindre l’horizon sans barreaux.

Par ses oeuvres l'auteur a voulu répondre à la question essentielle : Ecrivons-nous pour ou parce que? Et la force de Segalen tient face au temps. Son oeuvre possède la même alacrité nerveuse qu'au moment où elle fut écrite. Elle garde la même jeunesse vive que celle que l'auteur conserva l’âge venant- même s'il mourut à 42 ans en laissant des milliers de feuillets qui ne furent publiés qu'après sa mort.

Ecrivant dans l’urgence mais aussi le recueillement, celui qui fut médecin dans la Navale a inscrit le poids de l’existence en ses déplacements. Ils ne furent pas des fugues. Noter l’éphémère qui bat c’était pour lui revenir à soi. Car si le paysage forain lie il ne ligote pas. L’idéal est lorsque le partager devient non diviser mais multiplier. C’est peut-être trop en demander souvent à l’humain trop humain. Segalen néanmoins a tenté de l'atteindre dans le rêve de l'oeuvre absolue qu'il ne put réaliser mais dont demeurent plus que de beaux restes.

Jean-Paul Gavard-Perret


Victor Segalen, Oeuvres 1 et 2, éditions de Christian Doumet, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2020. Chaque exemplaire : 67,50 €. 62, 50 €.


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