Existe dans cette immense corpus construit par emboutissage et cerclage, un corpus qui fait penser au monologue de Molly Bloom d'Ulysse de Joyce ou encore au Paradis de Sollers. Existe la même circulation par association et télescopage où celui qui parle modifie l'ordre de son propre discours par une mise en à plat là où se concentre ce qui reste d'émotions et pensées, remontées et traumatismes mais sous le régime de l'engourdissement créé par le courant même de ce fleuve où tout est charrié sourdement.
Une nage ou une marche (forcée) - soulignée par des dates - crée une avancée en une sorte d'absence de temps - même si des dates sont soigneusement « filées » - en un mouvement qui charrie des retours à la conscience mais aussi des pertes de repères dans cet « objet » aussi compact qu'irrégulier. Demeure donc l'Arche sous laquelle doivent passer les phrases afin d'être adoubées par celui qui poursuit sans qu'il n'y ait jamais de terme ses fragments couturés à une pensée qui n'a pas pour objectif de voir le jour mais un « contrejour ». Et ce, en différents temps et teints en ce divin chantier qui n'appelle aucun progrès, aucune avancée.
En cet espace la régression devient découverte. Le narrateur locuteur semble un dernier philosophe revenu des morts et retournant à un lieu de départ et d'arrivée. L'Arche devient pilon de la création absolue par perte de contact avec la vie « jusqu'à plus rien depuis ses tréfonds qu'à peine à peine (...) n'importe comment n'importe où » (comme écrivit Beckett). Ce livre est dans le genre un exploit. Provisoire face à la vie. Mais exploit tout de même. Entre mélancolie et puissance de vie. Entre le très haut et le très bas. Dans la proposition du risque et les interstices qui fragmentent cette sorte de prière occulte et païenne. Les deux mains jointes y tremblent en attente de la « scène 1 : » dernier mot qui ouvre le livre. En le fermant....
Jean-Paul Gavard-Perret
Denis Ferdinande, « L'arche nuit », coll. Architextes, Atelier de l'Agneau, 150 p., 18 E., 2020
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Extraits :
[24/07/2017] Et l’heure morne de s’étendre, la chambre, que je puis fuir, et fuir à tout instant, d’un unique appel du dehors, ce serait : l’urgence des bains, car quoi d’autre, survenant à l’esprit, en vérité ?
[02/08/2017] N’y être, mais pas du tout, où cela ? Dans le fluide, et mon double de devenir qui je suis, m’écartant de la table y prenant place : dira je pour moi, dans un instant — alors je cesse d’être (tenez, il aura semblé ne rien se passer et pourtant, tel chambardement sidéral avec la substitution d’univers).
[05/08/2017] Quel jour est-ce, et de quelle année, ne plus s’y retrouver dans le chiffrage, s’il importe seulement, j’allais écrire, ayant en tête plus d’une phrase, remontant à la circulation nocturne, l’on se figure bien des heures d’inaction, alors qu’elles sont celles mêmes d’une gestation où des phrases se corrigent, eu égard à la donne initiale, que produit plus que la seule conscience, le rêve intervient et ses inscriptions une fois encore, qu’il me faut traduire, je m’y efforce, mais oublions cela te dis-je, l’heure est à l’excursion traversée de la cité,(...)
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