« Titus n'aimait pas Bérénice » de Nathalie Azoulai (2015)

Je ne m'intéresse en général que très peu à la rentrée littéraire et la remise des prix qui l'accompagne me laisse indifférente. J'aime simplement flâner dans les librairies et tomber en pâmoison devant un titre, une couverture, une maison d'édition. Lorsque je suis de bonne humeur, je peux me laisser aller à lire une quatrième de couverture, mais c'est déjà beaucoup. En lecture, j'aime bien le hasard... Par moments, c'est un échec total, mais parfois, je découvre un bijou.




Ce fut le cas pour ce roman de Nathalie Azoulai, qui a depuis obtenu le prix Médicis 2015. 
Il raconte, comment pourrait-il en être autrement puisqu'il s'agit de Bérénice, l'histoire d'un chagrin d'amour: « Titus aime Bérénice et la quitte ». Une femme est quittée par son amant qui lui préfère la sécurité de sa vie de famille. Autrement dit, c'est une histoire de « je t'aime mais... » ce qui pour Nathalie Azoulai reviendrait à dire: « Je ne t'aime pas ». Parmi le foisonnement des phrases de réconfort que les amis de la narratrice lui prodiguent, c'est le vers fameux de Racine extrait de Bérénice qui la heurte et qui oriente ses réflexions: 
 « Dans l'orient désert quel devint mon ennui ». 
A compter de ce moment, elle relit méthodiquement l'œuvre de Racine en y remarquant l'omniprésence des femmes malheureuses en amour. Un nouveau roman s'écrit alors dans le premier, celui de la vie de Racine dans lequel notre amoureuse éconduite tente de comprendre l'intérêt du janséniste austère pour la passion et ses ravages chez les femmes. Il y est évidemment question de Port-Royal, mais aussi de Virgile, de poésie, de théâtre, du Grand Siècle, bref, d'histoire littéraire. Au final la leçon que tire la narratrice de son voyage dans le temps: « vouloir comprendre ce qu'on appelle l'amour, c'est vouloir attraper le vent. » paraît décevante, mais limpide. 
Une des belles réussites de ce livre est à mon avis la tentative de compréhension de ce qu'est le style racinien, sa simplicité, sa pureté, que Nathalie Azoulai nous retransmet elle-même à travers sa propre écriture. Le roman est épuré comme Bérénice. 
C'est également un livre qui parle du cheminement du lecteur. Pourquoi « désire-t-on » un auteur, un film, une musique, à un moment de notre vie? Ne pourrait-on pas faire la biographie de quelqu'un en reprenant le chemin de ses envies artistiques? 
Mais surtout, c'est un roman qui traite de l'universel. Que Racine soit perçu pour beaucoup comme un auteur célèbre seulement pour avoir exercé des heures de torture sur des lycéens libidineux m'a toujours laissée pantoise. Lorsqu'on observe l'engouement des enfants pour la mythologie et l'histoire antique, on peut se demander pourquoi l'auteur de Phèdre laisse un pareil souvenir. Que rate-t-on en France avec Racine? 
Nathalie Azoulai rappelle heureusement que les « vieux livres » parlent encore de « nous » et qu'un classique « nous » raconte aussi. 


A. S.

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