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| Les Amants (Magritte) |
Le film débute; la jeune fille, caméra au poing, filme celui qui semble être son homme : Michel, la quarantaine affirmé, homme placide mais quand on y regarde bien : ravagé d'émotions qu'il domine avec peine. Ensemble, ils se rendent chez Rémy, baroudeur reconverti en sédentaire des bois, un poil abîmé, lui aussi plus âgé que Margot. Planté dans la cambrousse ardéchoise, une maison aux allures de squat s'impose comme décor. La chaîne hi-fi marche à plein tube, la vie est un film de fiction dont la bande-son est une playlist mp3 empreinte de nostalgie adolescente.
Pour Rémy, un peu de visite est appréciable. On peut sentir à travers l'écran la solitude qui lui pèse au quotidien. Mais l'homme est fantasque. Et à l'aise. D’œillade en sous-entendus de plus en plus grotesques à l'adresse de la porteuse de caméra, il devient le personnage principal de ce film qui commence à peine, (aux dépens de Michel, trop lisse ou plutôt, dont l'étude psychologique demanderait une trop grande attention à notre réalisatrice qui a, comme nous allons le voir, d'autres préoccupations). C'est l'Avventura 2015 ! Comme dans le chef d’œuvre d'Antonioni, le personnage principal disparait au bout de quelques minutes de film... Et il n'en finit plus de mourir. Présence, virilité, humour, savoir-faire en tous genres, Rémy est meilleur sur tous les plans.
Lors-qu’arrive le second soir, Michel est allé se coucher et l'ambiance se réchauffe entre Margot et Rémy. Ils se rapprochent, conversent franchement puis commettent l'irréparable... La situation est incroyable, on peine à y croire tellement c'est gros. Une question : sommes-nous sortis du documentaire pour entrer de plein pied dans la fiction ?
Margot Dubois a peut-être raison de jouer sur cette ambiguïté, (comme l'a dit le cinéaste polonais Krzysztof Kieslowki : « On ne peut traduire le Réel de l'expérience subjective qu'en lui donnant l'apparence d'une fiction »), mais en tant que spectateur ce qui marque, c'est la disparition du naturel. Il semblerait que tout ceci se soit déjà passé et que la réalisatrice provoque les situations plutôt qu'elle ne les observe.
Au petit matin le visage de Rémy en dit long. Mine contrite, désolée ; il avoue, s'excuse. Michel pardonne illico, sans demander d'explications. Trait caractéristique des hommes dominés par leurs émotions ; ils ne sont plus en mesure de trier les affects auxquels ils sont soumis selon leur niveau de gravité. Rémy ira même jusqu'à réclamer quelques baffes. En vain, Michel reste de marbre et Margot continuer de filmer.
Est-ce là une éloge du libertinage ? Force est de constater que dans cette incroyable mise en scène du réel, chacun y trouve son compte. Les deux, Rémy et Margot se jouent parfaitement de l'apathique cocu Michel dans une comédie cruelle, bien que prétendument légère.
Parmi les spectateurs la question de la vraisemblance a donné lieu à d'interminables débats. Certains pensaient qu'il s'agissait d'une fiction des plus écrites, d'autres au contraire étaient persuadés d'avoir été en face d'un documentaire. Tel qu'il se pose, le problème n'est certainement pas qu'une telle scène ait eu lieu, mais plutôt qu'elle ait été enregistré en temps réel. Et par le biais d'une caméra qui n'est presque jamais oubliée. Hypothèse : cette caméra serait le quatrième personnage du film, axe autour duquel les trois autres gravitent et auquel on donne sa pitance. Ce que la caméra réclame, c'est un événement. Dut-on pour cela faire fi de ce qui fonde la pratique documentaire. Car si le monde est falsifié par essence, la caméra peut dans certains cas parvenir à le rendre plus vrai, en extrayant du marasme de faux-semblant au milieu duquel nous vivons, une pointe de vérité psychologique et fondamentale. Or dans le cas du film qui nous occupe, elle n'a été, au mieux que le témoin, au pire l'accélérateur de cette farce absurde, de cette ronde des apparences sans cesse renouvelée.
P.A.

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