Ces monstres qui vivent parmi nous - Don Kenn Mortensen

Don Kenn Mortensen est un artiste danois encore assez méconnu qui dirige des émissions pour enfants et dessine d’étranges scènes sur des post-it. Ces dernières évoquent un univers tourmenté dans lequel cohabitent monstres et humains. De vastes forêts, des ondes habitées et des maisons isolées deviennent les lieux de rencontres fortuites. Un petit livre rassemblant ces œuvres est édité en anglais par une maison d’édition copenhagoise.
 
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L’aspect frappant de ces images, c’est la relation que peuvent entretenir les différents protagonistes. On trouve le plus souvent l’illustration de rapports de domination. Les lieux communs des frayeurs puériles font l’objet de contradictions. La plupart des monstres semblent inoffensifs. Il arrive même qu’ils soient tenus en laisse ou qu’ils demandent poliment leur chemin. Il ne s’agit pas simplement pour Mortensen de dessiner des monstres, mais de nous dire quelque chose de l’enfance et de ses peurs. Les fantômes de Mortensen sont les reflets d’un état intérieur. Ses dessins sont empreints de réflexivité. 

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Il existe deux étymologies du terme « monstre ». La première monstranum évoque le fait de montrer une chose surprenante. Elle rejoint le caractère anormal du monstre qui en fait un phénomène de foire. Chez Mortensen, le monstre est oublié malgré son corps difforme et difficile à dissimuler. On pourrait aussi bien parler de fantômes pour qualifier ces personnages qui ne sont rien de plus que des apparitions spectrales. Sans le dessin qui révèle leur présence, ces spectres seraient peut-être condamnés à errer dans l’anonymat.

En effet, le motif le plus récurrent dans l’œuvre de Mortensen est celui du monstre ignoré. Le ou les monstres présents font alors face à l’Indifférence du monde des hommes. Ils sont à l’abri des regards ou se font les plus discrets possible. Qu’ils soient en situation d’approche imminente, ou qu’ils hantent les pas des enfants sans qu’ils aient encore été découverts, leur présence n’est, dans un premier temps, révélée qu’au spectateur.
Les émotions que l’on perçoit à travers les expressions des monstres ou simplement leurs diverses déformations sont très ambigües. Comme les hommes ou enfants présents ne se doutent pas toujours de la présence de spectres inquiétants autour d’eux, une empathie pour le monstre se met en place chez le spectateur avisé. Ces fantômes évoquent pour nous un univers souterrain de solitude. Et s’ils étaient eux-mêmes victimes de l’effroi qu’ils sont censés inspirer ?
  La figure du monstre se rattache à l’inconscient. L’enfant craint la présence de forces invisibles et mortifères autour de lui. Cette crainte tient au fait que des parties entières du réel échappent à notre sensibilité. En faire la découverte et l’expérience est résolument effrayant. Lorsque la lumière s’éteint, rien ne peut nous assurer que l’environnement n’est pas hostile d’où la volonté de vérifier qu’il n’y a rien sous le lit. Mortensen représente de nombreux enfants ; certains sont visiblement inquiets tandis que d’autres paraissent insouciants.




On peut postuler que la peur des monstres ne serait finalement qu’une métaphore de l’angoisse ontologique de la mort. D’ailleurs, le support choisi : des post-it, n’est assurément pas innocent. Ces pense-bêtes sont là pour nous remémorer nos cauchemars et les dangers qui nous guettent. S’agirait-il d’une forme nouvelle de memento mori à placarder où l’on veut ? Cette hypothèse rejoint le sens que donne au mot « monstre » la seconde étymologie latine, celle de monstrum, qui qualifie une annonce prophétique et divine. Les monstres de Mortensen viennent au contact des hommes comme les annonciateurs d’obscurs présages. On retrouve d’ailleurs le faciès squelettique du crâne humain dans les traits de la plupart de ces fantômes. Comme dans le genre pictural de la vanité, cet indice rappelle l’issue fatale de toute vie.  
Néanmoins, les monstres qui avancent dans l’ombre, les fantômes qui vagabondent à l’arrière-plan sont dépourvus de violence. Ils sont simplement affublés d’un physique au potentiel horrifique. On n’imagine qu’ils ont un rôle de guide, ils suivent les vivants jusqu’à la mort comme de fidèles anges-gardiens. Ils sont le reflet de notre inconscient. Ils sont à l’image de notre vie intérieure, celle que nous inspire notre condition. Quand il leur arrive de nous piéger, de nous aliéner, c’est comme par hasard pour attirer notre attention, nous informer de leur existence.



On peut par exemple proposer une lecture d’un des dessins (l’homme face à la mer calme d’où provient un monstre) en le comparant à une célèbre peinture de Friedrich. On retrouve la dimension monstrueuse et inquiétante de la nature. Dans le cas de Friedrich, l’homme romantique se dresse face à une mer de nuages tumultueuse. Cet inconnu fascine, mais nous pouvons le surplomber, le dominer. L’œuvre incite à l’exploration. La notion de monstre dans cette peinture doit être appréhendée comme un élan incompréhensible qui nous dépasse. C’est un monstre empirique qui se manifeste directement dans la nature. Finalement, cette monstruosité, quasi réaliste et au-delà du cliché, apparaît de manière plus claire et physique que dans celle des post-it.















Chez Mortensen, c’est tout le contraire. Le voyageur est minuscule. Il fait face à une mer plutôt calme, mais le monstre marin sorti des profondeurs approche. Il est immense, noir, terrifiant, tentaculaire. Il nous rappelle le célèbre monstre marin Médusa. Pourtant, il avance sereinement vers le rivage, il n’est pas menaçant. 
Ainsi, il n’y a pas de vision romantique du monstre chez l’artiste danois. Dans une perspective romantique, l’humanité recherche la confrontation à la nature, à l’immensité. Sur les dessins post-it, on remarque que la nature à travers ses mers et ses forêts ne permet aucune évasion, aucun dépassement de soi. Les personnages sont partout poursuivis par leurs angoisses. En cherchant à les fuir, ils se fuient eux-mêmes.

Les œuvres de Mortensen nous délivrent un message positif sur le monstre. Il vient de nous, il sommeille en nous. Nous n’avons pas de raison de le craindre.



Certaines processions de monstres font même office d’accompagnateurs sympathiques. Tout dans leurs expressions suggère la bonhommie. Sur l’image de l’enfant à la guitare par exemple, le groupe des monstres fait presque office de gang d’amis imaginaires.  Finalement, l’artiste ne serait-il pas en train de nous réconcilier avec les monstres, avec nos peurs et avec nous-mêmes ?

Nora A.

WEBOGRAPHIE :
http://donkenn.tumblr.com/
http://johnkenn.blogspot.fr/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Monstre
https://fr.wiktionary.org/wiki/fant%C3%B4me

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