Andy Warhol et un écrivain algérien : Rencontre avec Mustapha Benfodil, Théâtre la vignette, Montpellier

Théâtre de l'université Paul Valéry, une pièce de Mustapha Benfodil, mise en scène par une troupe étudiante. L'auteur est présent pour l'occasion. Événement dans le petit milieu du théâtre montpelliérain. Une rencontre est prévue avant la pièce ; je ne suis pas particulièrement emballé, je suis là sur l'invitation d'un ami. Le grand algérien grisonnant parait timide, il me frappe par sa présence paradoxale. D'une voix fluette il répond  aux questions posées. J'entends : « Pop littérature » ou quelque chose du genre. Je tique, qu'est-ce que c'est que cette histoire ? J'ai envie de prendre la parole mais je n'ose pas. Je me dis : au fond, c'est normal qu'ils soient d'accord, eux et lui. Il vient d'un monde différent du nôtre, c'est un révolutionnaire, que veut-il ? Il est plus ou moins persécuté dans son pays, il rêve de liberté. Eux, c'est pareil, sauf que c'est totalement différent. Ils veulent que tout reste en place, ils chérissent leur liberté qui n'en est pas une. Lui ne sait qu'elle n'est rien. On le sait tous, c'est plus ou moins conscient, on devrait lui dire à notre ami algérien. Au lieu de ça, on tourne et vire dans le hall en sirotant quelques verres de vin rosé, hâbleurs, ricanant. Puis enfin la pièce : peu d’intérêt. Les étudiants se démènent sur scène pour plaire à celui qui a écrit ces mots qu'ils prononcent avec difficulté. C'est un maelström strident, à peu près ingénieux, qui se déroule sous nos yeux. On n'y comprend presque rien mais c'est vif. Mustapha est installé en haut, caché, toujours si discret. On se demande s'il apprécie. Lorsque la représentation s'achève, tout le monde sort et se concerte. Le choc est total. Pour ceux qui sont venus ce soir-là voir du théâtre, c'était du grand art. Mustapha déambule. On le sent un peu mal à l'aise. Finalement, du monde s'agglutine autour de lui, plus par respect forcé que par véritable intérêt. On dirait qu'ils ont peur les étudiants, et il y a de quoi vu la gueule que tire l'auteur ! que la pièce n'ai pas été à son goût. Pas du tout ! Il n'en est rien ! Il s'excuserait presque ! Pardon d'être là ! J'ai vraiment apprécié ! Merci ! Merci !… « Non, merci à vous, Mus ! » s'exclament les jeunes ébahis devant une modestie qu'ils sont loin de comprendre. On nage en plein dans l'absurdité habituelle : mondanité, déculturation, futilité. Il est presque minuit et un convoi se dirige à pied vers le centre ville. Je suis toujours là, Mustapha est là aussi, avec la troupe. Quand même au bout d'un moment, je décide de m'en aller et j'annonce « Je vais manger un bout ! » personne ne répond ou presque. 

Je cours à travers un chemin connu. Je prends quelques rues secrètes et j'arrive devant le kebab de la rue de l'Aiguillerie, un de ceux qui fermaient très tard à cette époque. Je commande et m'assoie devant la télévision qui hurle. Tout ce que j'ai vu, je n'en pense rien. Cette pièce m'a laissé un goût étrange... C'est comme si toutes les valeurs étaient inversées... Et pourtant, je sens bien que ce Mustapha porte en lui, et je ne parviens pas à savoir s'il l'a rejette ou s'y inscrit totalement. Alors que je ronge mon frein en me posant des questions que j'aurais dû lui poser à lui, soudain, le voilà passe la porte du restaurant ! Monsieur Benfodil avait faim, comme moi ! Et forcément les autres ont du lui donner l'adresse du seul endroit encore ouvert ! Il me dit bonjour et s'installe. Je me retourne « Bonsoir, j'étais à la pièce à l'instant... », « Oui, oui, je sais... c'est vrai, je me rappelle... » La rencontre est improbable, et je ne suis pas du genre à entamer un discussion à bâtons rompus avec un inconnu. Mais pourtant nous voilà partis à disserter sur Warhol et l'escroquerie qu'il représente... Mustapha n'est pas d'accord. Être « Pop », ça l'intéresse vachement... Moi je trouve que n'est artistiquement nul, aucune forme, aucune texture, aucun panache... Il me laisse parler gentiment.  Comme on termine notre sandwich, on se dirige vers la fête. Je lui lance un mot sur mon activité d'écrivain. Il a du noter mon impatience parce qu'il me rassure : « J'ai écrit des pages et des pages avant de publier ! Il faut beaucoup travailler... »

Ce n'est que quelques mois plus tard que j'ai été amené à revoir Mustapha Benfodil dont on lisait des textes à Marseille. Nous sommes là avec quelques amis. Je retrouve l'auteur, toujours aussi timide, allant et venant dans le hall des Archives Départementales. C'est à peine s'il me reconnaît. Je ne sais pas quoi penser de son petit « bonjour » qu'il me glisse en s'excusant... Ça commence à se savoir qu'il est comme ça, Mustapha. Ce qui interpelle le plus chez lui, c'est l'écart qu'il y a entre son attitude et ce qu'il est capable d'écrire. Des horreurs... Mais ils ne comprennent pas qu'il s'exorcise en permanence ! Du coup rien d'étonnant à le voir parfaitement calme. Par contre ce qui est vrai avec les taiseux, c'est qu'on ne sait jamais ce qu'ils pensent. La lecture est animé, bien qu'étrange, abrutis par l'écoute, nous sommeillons sous les mots. À la fin, Mustapha est invité à répondre à quelques questions. Lorsqu'une d'elles portent sur la question de sa « Pop-littérature », je tique. Le retour de Warhol ! Et Mustapha, toujours aussi réservé prend appui sur moi en me désignant depuis l'estrade : « C'est une question dont j'ai déjà beaucoup parlé avec mon ami Pierre qui est là haut... » Je ne rougis pas quand tout le monde se retourne vers moi mais je lève machinalement la main, comme à l'école (...)


P.A.

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